Interview

Valentine Bonifacie - La première femme lanceuse de fusée a été formée au Cnam

Valentine Bonifacie

Il y a des parcours de vie singuliers, ceux auxquels on ne s’attend pas, ces hasards curieux qui vous amènent là où vous n’auriez jamais dû arriver. C’est le cas de Valentine Bonifacie, qui a suivi les cours du Cnam à la fin des années 70, pour finalement devenir la première femme à avoir participé au lancement de la fusée Ariane. Un documentaire récent lui a été consacré sur la plateforme 1ère, portail des Outre-mer. L’occasion pour nous de mieux la connaître en quatre questions.

Vous resterez dans l'histoire comme la première femme à avoir lancé des fusées depuis la base de Kourou, en Guyane. Racontez-nous cette expérience riche en émotions.

Je suis rentrée au Centre spatial guyanais en juillet 1977, au service Calcul. La société Thomson m’a appelée pour me proposer un poste de mécanographe, ancêtre de l’informaticien, alors que je me trouvais en métropole. J’ai accepté l’offre, ce qui m’a par ailleurs permis de revenir en Guyane, ma région natale. À l’époque, je suivais des cours d’électronique et d’informatique au Cnam de Paris en cours du soir (1975-1976). J’ai néanmoins décidé de rejoindre Kourou et l’équipe opérationnelle qui s’occupait de préparer les trajectoires, suivre le lancement et restituer les trajectoires une fois la fusée dans l’espace. Je n’ai pas eu le temps de passer un diplôme à l’époque mais, en Guyane, j’ai fini par décrocher un examen de système de localisation. Toujours au Cnam!

Mon intégration au centre spatial ne fut pas chose facile. J’étais une femme, une première, et mère de famille dans un milieu très masculin, une équipe de 35 hommes. Les femmes n’étaient pas encore légion, il m’a fallu me battre sans relâche pour prouver que j’étais aussi capable que les hommes. Le 24 décembre 1979, ce fut pour moi comme une apothéose, aux manettes pour suivre la première fusée Ariane sur calculateur. Moment de vive émotion et de réussite, et beaucoup de fierté d’avoir réussi ce challenge.

Avant de vous imposer pleinement au centre spatial, vous avez dû vous former en informatique. Et vous former au Cnam, à Paris. Comment avez-vous été amenée à croiser le chemin du Conservatoire et que vous a-t-il apporté?

Avant d’intégrer le Centre spatial guyanais, j’étais en cours chez Pigier où j’ai appris la mécanographie, ce qui a précédé l’informatique. Et puis j’ai été engagée dans une première société. Je tapais des programmes, mais cela ne me suffisait pas. Curieuse de nature, et ne voulant pas reproduire bêtement ce que je lisais, je suis rentrée au Cnam sur conseil d’une enseignante, pour comprendre les choses et suivre des cours d’électronique et d’informatique. À mon retour en Guyane, puisque j’avais abandonné les cours au profit d’un poste à Kourou, j’ai repris mon cycle au Cnam local et j’ai donc fini par avoir un diplôme en système de localisation.

Le Cnam m’a beaucoup appris. Je ne connaissais rien à l’électronique ni à l’informatique. Avec le recul, je me rends compte de ma chance d’avoir pu me former en cour du soir. Grâce à cela, ma vie professionnelle a pu prendre un tout autre essor. Je me souviens en particulier de ces intervenants qui transmettaient leur savoir avec beaucoup de simplicité.

Vous êtes aujourd'hui la présidente de Premières de Guyane, un incubateur pour entrepreneuses innovantes. Quel bilan tirez-vous de cette expérience pour vous-même et pour celles que vous accompagnez?

En effet, je préside cette association depuis déjà 8 ans. Durant cette période, nous avons accompagné la création de 80 entreprises pour une moyenne de 100 projets suivis par an. Nous intervenons sur l’innovation sociale, environnementale et technologique par un accompagnement individualisé, d’une part, et par une formation permettant aux entrepreneuses de réaliser avec efficacité leur ingénierie de projet, d’autre part.

C’est une expérience très enrichissante, pour moi. Toutes ces femmes qui prennent leur destin en main, elles sont courageuses, déterminées, elles comprennent l’intérêt de se dépasser. Avec elles, j’ai le sentiment d’être en perpétuel apprentissage.

Quels sont vos projets à venir? Je suis sûr que vous avez des idées...

Continuer à développer l’association Les premières de Guyane sur tout le territoire guyanais afin de donner une chance à toutes les femmes de s’insérer par la création de leur propre entreprise. J’ai également l’intention d’intervenir de plus en plus dans les lycées et collèges afin de faire comprendre aux jeunes, et pas seulement les filles, l’importance des études. La jeunesse doit comprendre qu’il faut se battre pour réussir. Vouloir c’est pouvoir, quel que soit son chemin de vie ! Trois mots me viennent en tête pour résumer mon propos : détermination, volonté et résilience.