Philippe Duranthon, un expert-comptable sans frontières

Philippe Duranthon, enseignant à l’Intec de 1995 à 2012 et expert-comptable à la retraite s’investit depuis plus de 20 ans pour Experts-Comptables Sans Frontières (ECSF), une association humanitaire qui agit pour la diffusion et le partage du savoir dans le domaine comptable. Rencontre.

Avant de parler de l’association, pourriez-vous nous décrire votre parcours en quelques mots ?

J’ai créé mon cabinet d’expert-comptable en 1982 dès que j’ai été diplômé. J’ai également enseigné à l’Intec, dans un premier temps, des cours sur les fusions et la fiscalité de groupes, puis sur la comptabilité approfondie.  
J’ai rejoint l’association un an après sa création en 1994. J’en suis vice-président et je m’y investis d’autant plus aujourd’hui que je suis à la retraite.

Comment a été créée l’association ?

L’association s’est créée par un concours de circonstances. En 1994, des confrères experts-comptables sont partis en Roumanie dans le cadre d’échanges sur les pratiques comptables avec le Conseil supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables (CSOEC). Au cours de ces échanges officiels, ils ont été amenés à connaître la situation d’une jeune fille qui avait des problèmes de vue importants. Ils se sont donc consultés pour réunir les fonds nécessaires à un traitement en France. À l’issue de cette opération exceptionnelle, ils ont constaté qu’ils avaient des excédents financiers et l’idée a germé de poursuivre ce processus en créant Experts-Comptables Sans Frontières (initialement intitulé Experts-Comptables Universels).
Eric Delesalle, ancien enseignant à l’Intec et fondateur de l’association, en a été la cheville ouvrière pendant plusieurs années.

Quels sont ses objectifs et valeurs ?

Il s’agit de partager le savoir en général et le savoir comptable en particulier et de le mettre à disposition auprès des personnes qui n’y ont pas accès.
Les valeurs que nous portons sont le partage, l’échange, l’ouverture et l’éthique. Sur ce dernier point, les confrères qui s’engagent signent par exemple une charte qui interdit toute activité lucrative dans le pays visité pendant 5 ans. Nous sommes dans un domaine non marchand et intervenons auprès des populations laissées-pour-compte. Nous ne répondons donc pas aux sollicitations d’audits ou de formations pour des personnes qui en ont les moyens. Les compétences existent en Afrique pour cela, ce n’est pas notre rôle.

Comment mettez-vous en œuvre ces principes ?  

Les activités de l’association se déclinent en plusieurs volets.
Un premier volet dans le cadre d’ateliers avec les enseignants des pays dans lesquels nous intervenons et lors desquels nous partageons le savoir comptable.
Nous signons une convention tripartite, en dehors de toute considération financière, avec le ministère et les enseignants, dans laquelle chacun s’engage sur une période de trois ans minimum à poursuivre l’organisation de ces ateliers d’échange.
De notre côté il s’agit d’intervenir deux à trois fois par an sur un programme établi conjointement. Les enseignants s’engagent à être présents et à dupliquer ces ateliers auprès d’autres enseignants qui n’ont pas pu participer. Enfin le ministère met à disposition une salle, libère les enseignants et s’occupe de la logistique.

Un deuxième volet auprès des artisans, notamment ceux du secteur informel dont les activités sont hors fiscalité mais ont une réalité économique.    
Nous nous engageons avec le ministère de l’artisanat du pays et les artisans pour organiser des ateliers d’échanges et communiquer les bonnes pratiques de la gestion quotidienne de leurs activités artisanales. En juillet 2017, nous sommes allés à Niamey au Niger, une soixantaine d’artisans représentant tous corps de métiers étaient présents. Nous nous sommes mis d’accord sur leurs besoins, ce qu’on pouvait apporter, ils transmettent ensuite eux-mêmes les supports et méthodes.  
 
Enfin, un dernier volet qui concerne le financement de micro-crédits, nous avons un petit budget alloué à cela. Nous favorisons le financement de groupement, par exemple celui de femmes qui sont très dynamiques en Afrique, et nous les accompagnons sur le montant, le remboursement etc.

Nous avons créé par ailleurs des centres de point de lecture spécialisés dans les domaines de la gestion, de la comptabilité ou de la finance, ouverts à tous de façon gratuite. Nous y mettons à disposition des manuels de comptabilité que nous récupérons dans les bibliothèques de l’Intec ou du CSOEC.  

Vous intervenez essentiellement en Afrique francophone. Pourquoi et à quelles spécificités êtes-vous confrontés ?  

Nous favorisons effectivement la francophonie financière et intervenons en Afrique et notamment en Afrique de l’ouest. Sur le continent, les métiers d’expertise comptable se développent et la plupart des experts-comptables ont présenté l’examen français d’expertise comptable. Ils ont appris le droit français, la fiscalité française…
C’est d’ailleurs avec des étudiants béninois et togolais de l’Intec qui partageaient nos valeurs que nous sommes intervenus initialement dans leur pays respectif. Successivement, nous sommes allés au Mali, au Burkina-Faso, au Niger, au Cameroun, au Burundi…  Nous n’allons dans un pays que si nous avons un relai sur place, il s’agit souvent d’un ancien étudiant de l’Intec devenu expert-comptable mais cela peut aussi être l’ordre des experts-comptables du pays.   

Concernant les spécificités, il y a un handicap manifeste lié à l’insécurité dans certains pays et plus accessoirement au faible taux d’alphabétisation. Il est par exemple nécessaire si l’on échange avec un artisan que celui-ci sache lire et écrire et puisse se faire le relai.

Par ailleurs, nous avons pour projet de créer un blog sur lequel les enseignants pourront mettre à disposition des supports en matière de gestion et de comptabilité. Mais l’accès à internet en Afrique pose problème, les transferts de fichiers sont très longs, il y a des coupures d’électricité. Les enseignants sur place sont confrontés à cela et c’est un véritable problème de communication.

Enfin, il a été mis en place en 1993, l’Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) qui comprend 17 pays du Sénégal à la République démocratique du Congo. Ces pays sont depuis dotés du même droit de recouvrement, notamment le droit comptable. L’Afrique est de ce point de vue plus en avance que l’Union européenne. Il est donc essentiel pour nous de travailler sur ce système comptable.

Quelles sont vos sources de financement ?

Nos besoins financiers ne sont finalement pas très importants, il s’agit essentiellement de frais d’avion et d’hébergement. Nos activités sont financées par l’adhésion de nos membres et les cotisations que nous versent certains conseils régionaux de l’ordre des experts-comptables ainsi que le conseil supérieur. La richesse la plus importante est finalement le temps que nous pouvons y consacrer. Nous avons 300 membres experts-comptables de toute la France. Chaque contribution est essentielle, que ce soit pour le versement d’une cotisation, la rédaction d’un support, l’animation d’un atelier sur place etc.

Pour conclure…

Un aspect essentiel que nous n’avons pas évoqué, c’est une véritable aventure humaine ! Les contacts sur place sont très chaleureux et nous apprennent autant que nous leur apprenons.
C’est un partage du savoir-faire, avec la passion du cœur.